vendredi 29 février 2008

L'Etat condamné après le suicide d'un détenu

Kevin David, 23 ans, s'était pendu le 11 juillet 2005 avec les manches de son pull à la grille de la porte de sa cellule du quartier disciplinaire où il avait été placé pour vingt jours.

L'Etat a été condamné par le tribunal administratif de Rouen à payer un total de 30.000 euros pour préjudice moral à quatre membres de la famille d'un détenu qui s'était suicidé en 2005 au centre de détention de Val-de-Reuil (Eure), a-t-on appris vendredi 29 février de source judiciaire.
Kevin David, 23 ans, s'était pendu le 11 juillet 2005 avec les manches de son pull à la grille de la porte de sa cellule du quartier disciplinaire où il avait été placé pour vingt jours. Le détenu avait déjà tenté de se suicider à deux reprises la même année alors qu'il venait d'être placé dans ce quartier.


"Une faute de surveillance"

Dans un jugement rendu mardi, le tribunal a estimé que les mesures de surveillance n'avaient pas été "suffisantes et adaptées à la personnalité de ce détenu qui avait déjà (...) tenté de mettre fin à ses jours". Au vu de ces éléments, le tribunal a estimé que les plaignants étaient "fondés à soutenir que l'administration pénitentiaire a(vait) commis une faute de surveillance de nature à engager sa responsabilité".
L'avocat de la famille, Me Etienne Noël, avait réclamé une somme totale de 60.000 euros lors de l'audience qui s'est tenue le 31 janvier. Selon Etienne Noël, l'Etat a déjà été condamné en 2004 par le tribunal administratif de Rouen pour un suicide dans des conditions similaires dans ce centre de détention.

Source: nouvelobs

Entrée en vigueur samedi des pôles de l'instruction

L'une des principales réformes de la justice censée tirer les leçons du désastre judiciaire d'Outreau, la création de pôles de l'instruction pour les affaires criminelles, entre en vigueur samedi.

Ces "pôles" sont censés remédier à la solitude des magistrats instructeurs, désignée comme l'une des principales causes des errements de Fabrice Burgaud, le juge ayant mené l'enquête sur l'affaire de pédophilie d'Outreau, qui s'est soldée par treize acquittements.

La commission parlementaire sur ce désastre avait prôné la collégialité systématique des instructions, avec trois magistrats, une proposition soutenue par la majorité des élus.

Mais, faute de moyens, le garde des Sceaux d'alors, Pascal Clément, avait proposé un compromis lors des débats parlementaires fin 2006 : la création de pôles pour les affaires criminelles et celles les plus complexes pendant cinq ans, puis la collégialité systématique.

Comme les parlementaires traînaient encore les pieds, cette période intermédiaire a finalement été ramenée à trois ans après la promulgation de cette réforme de la procédure pénale, dont l'autre mesure phare était l'enregistrement des interrogatoires au commissariat et chez le juge d'instruction.

La loi ayant été promulguée le 5 mars 2007, la collégialité systématique devra être mise en place au début de la troisième année suivante, soit le 1er janvier 2010, selon la Chancellerie.
La mise en place des pôles de l'instruction était prévue au 1er mars 2008 et cette phase intermédiaire s'ouvre donc samedi.

C'est avec cette date butoir en tête que Rachida Dati a mené à marche forcée sa réforme de la carte judiciaire. Pour avoir une organisation cohérente, mieux valait en effet avoir procédé aux remodelages avant de choisir les pôles de l'instruction.

La liste des 91 pôles n'a donc été publiée au Journal officiel que le 18 janvier dernier.

Concrètement, à partir de samedi, si un crime est commis dans le ressort d'un tribunal qui n'est pas un pôle, l'instruction, avec au moins deux juges, sera ouverte dans le pôle dont il dépend. Ce qui n'empêchera pas le procès de revenir ensuite dans la juridiction initiale.
Par exemple, si un meurtre est commis à Châteauroux ou Nevers, l'instruction se fera à Bourges. Idem pour les affaires les plus complexes.

En tout, cela ne concerne guère que 5% des affaires pénales.

Comme la réforme de la carte judiciaire, qui a vu la suppression de 23 tribunaux de grande instance et de 178 tribunaux d'instance, la création de ces pôles a suscité d'importants mouvements d'opposition de la part de magistrats et avocats en province.

Début février, l'Union syndicale des magistrats (majoritaire) a écrit à la garde des Sceaux, s'inquiétant que "rien ne (soit) en place pour permettre une mise en œuvre dans des conditions satisfaisantes" de ces pôles.

"Au mieux, la co-saisine ne se mettra pas en place, au pire, si plusieurs juges sont conjointement désignés, cette co-saisine ne pourra être que virtuelle, faute de moyens mis en œuvre", écrivait son président Bruno Thouzellier.
La Chancellerie assure que seront mis en place 34 juges d'instruction supplémentaires au 1er septembre 2008 et 34 greffiers supplémentaires au 1er octobre 2008.

© 2008 AFP

Relaxe pour une jeune femme qui avait tenté d'empêcher une expulsion sur un vol Paris-Bamako

Le tribunal correctionnel de Bobigny a relaxé, vendredi 29 février, une Française âgée de 30 ans, Khadija Touré, qui s'était opposée à la reconduite à la frontière d'un Malien, en novembre 2006 à Roissy.

Lors de l'audience, le 15 février, le procureur de la République avait requis trois mois de prison avec sursis contre Khadija Touré, accusée d'"entrave à la circulation d'un aéronef", un délit passible de cinq ans de prison et d'une amende de 18 000 euros, selon l'article 282-1 du code de l'aviation civile.

"J'ai agi humainement, je ne vois pas ce qu'on peut me reprocher", avait expliqué la jeune femme. "Elle a eu un comportement humain de compassion, de résistance citoyenne" qui est "à l'honneur de notre pays", avait estimé son avocate, Me Irène Terrel.


Le 29 novembre 2006, alors qu'elle embarquait pour le Mali, Mme Touré avait été alertée à l'aéroport par des militants du syndicat SUD-Etudiants de la présence à bord du vol d'un étranger en situation irrégulière expulsé. Une fois embarquée dans l'appareil, elle avait demandé à plusieurs reprises à parler au commandant de bord, qui avait menacé de la débarquer. Le sans-papiers avait finalement renoncé à s'opposer à son expulsion et la passagère s'était rassise. Mais elle avait été interpelée à son retour en France.

DES INCIDENTS COURANTS

En avril 2007, deux passagers d'un autre vol Paris-Bamako d'Air France, un Malien et une Française, avaient eux aussi été poursuivis pour "délit de solidarité", selon l'expression utilisée par les militants de RESF pour qualifier ces poursuites. Leur révolte avait fait échouer l'expulsion de deux sans-papiers. Accusés de "provocation à la rébellion", ils avaient été relaxés par le même tribunal de Bobigny, en septembre 2007.

Au sein du personnel navigant d'Air France, le malaise est grand. Les élus du comité central d'entreprise ont adopté, le 10 juillet, une motion demandant aux actionnaires de "se prononcer pour l'arrêt des expulsions". En juillet également, le ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Brice Hortefeux, avait reconnu que sur six mille reconduites à la frontière intervenues entre janvier et mai 2007 par voie aérienne, "4,6 %" avaient posé des "difficultés".

source : lemonde.fr

jeudi 28 février 2008

La France pointée du doigt pour ses prisons


Traitement inhumain et dégradant". La formule revient à plusieurs reprises dans le rapport que le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe va rendre public. Ce ne sont pas les geôles d’un Etat mis au ban de la communauté internationale pour ses atteintes répétées aux droits de l’homme qui se trouvent ainsi fustigées. Non, le rapport traite de la France et de ses prisons - où sont enfermées, dans des conditions souvent indignes, 64 000 personnes, soit 120 détenus pour 100 places en moyenne - et, plus particulièrement, des problèmes de santé, de placement à l’isolement et, encore une fois, de surpopulation carcérale.

Le Monde du 6 décembre


Les observations des visiteurs du CPT, qui se sont rendus dans plusieurs prisons françaises à l’automne 2006, sont accablantes. Sait-on qu’en France, en 2007, des détenus « particulièrement surveillés », quand ils reçoivent des soins dans leurs chambres sécurisées, sont « systématiquement fixés à leurs lits sans interruption, le plus souvent avec des entraves aux chevilles et main menottée au cadre du lit » ? Sait-on que, dans la patrie de la Révolution française, qui avait proclamé que le système carcéral avait la double mission de punir et d’amender le condamné, des détenus en attente d’une hospitalisation psychiatrique, en situation de « souffrance aiguë », peuvent être « obligés de rester nus » dans leur cellule d’isolement, « soumis à un contrôle visuel régulier du personnel pénitentiaire » ?

Le CPT relève « l’état dramatique » de la psychiatrie carcérale. Il s’alarme des abus du placement à l’isolement administratif. Il s’inquiète de l’organisation des « rotations de sécurité », qui conduisent à changer régulièrement de prison des détenus réputés dangereux ; ces transferts peuvent se révéler nécessaires mais leur succession, « dans certaines circonstances, constitue un traitement inhumain et dégradant ». Le CPT affiche aussi sa préoccupation sur des questions qui touchent à la vie quotidienne carcérale, depuis les fouilles corporelles et celles des cellules jusqu’aux violences entre détenus, qui ne peuvent que se développer du fait de la surpopulation. La loi sur la récidive, votée en juillet, pourrait conduire à l’incarcération de 10 000 personnes supplémentaires...

Depuis le témoignage accablant, en janvier 2000, du docteur Véronique Vasseur, alors médecin-chef à la Santé, Le Monde n’a cessé, à travers ses enquêtes et une dizaine d’éditoriaux, d’attirer l’attention sur cette indignité carcérale. Nicolas Sarkozy promet une démocratie « irréprochable ». Sans entretenir trop d’illusions, souhaitons que cette promesse se traduise dans la loi pénitentiaire en préparation. Afin qu’on ne puisse plus reprocher à nos prisons d’être épinglées pour traitements « inhumains et dégradants ». 

Article paru dans l’édition du 07.12.07.


LA FRANCE POINTÉE DU DOIGT POUR SES PRISONS


Un rapport d’un organisme européen, le Comité pour la prévention de la torture, dénonce les conditions de vie indignes de nombreux détenus. Malades mentaux pas ou mal soignés, détenus attachés pendant des soins, contraints à l’isolement : autant de traitements « inhumains et dégradants ».


Le Comité pour la prévention de la torture, une agence du Conseil de l’Europe, critique la surpopulation carcérale en France et le sort de certains détenus « qui s’apparente à un traitement inhumain et dégradant », dans un rapport publié lundi à Strasbourg. Le document constate un fort taux de surpeuplement carcéral dans les maisons d’arrêt, visitées en octobre 2006. « Les maisons d’arrêts hébergent à long, voire à très long terme, un taux élevé de détenus condamnés qui ne sont pas toujours séparés des prévenus, contrairement aux règles pénitentiaires européennes », ont relevé les experts du CPT.

Ils ont attribué à « l’allongement continu des peines et (au) rallongement de la durée effective des peines à perpétuité » une gestion « toujours plus problématique » de la population pénitentiaire. Le CPT s’est alarmé notamment du sort des « détenus particulièrement surveillés » (DPS) en demande de soins. A la maison d’arrêt de Fresnes, les demandes d’hospitalisation étaient, lors de la visite, sujettes à un délai de deux à sept jours. « En attendant, a affirmé le CPT, certains détenus présentant des états de souffrance aiguë étaient placés en cellule d’isolement, traités sous contrainte si nécessaire, et obligés de rester nus en cellule, soumis à un contrôle visuel régulier du personnel pénitentiaire ».


Des menottes jusque sous la douche

A l’unité d’hospitalisation sécurisée du Centre Hospitalier de Moulins-Yzeure (Allier), les détenus DPS « étaient systématiquement fixés à leur lit, sans interruption, le plus souvent avec des entraves aux chevilles et avec une main menottée au cadre du lit », selon le rapport. « Ces entraves et ces menottes étaient également portées aux toilettes et à la douche » et « des fonctionnaires de police étaient présents aux côtés du patient pendant tout acte médical, même le plus intime », révèle le document. Les demandes formulées par le personnel médical d’enlever les menottes lors des soins étaient systématiquement refusées par les surveillants et les policiers accompagnants, selon le CPT qui a souhaité que soient revus les critères de classement en DPS.

Dans leur réponse jointe au rapport, les autorités françaises ont rappelé le lancement en 2002 d’un programme de construction d’unités d’hospitalisation spécialement aménagées pour recevoir les détenus souffrant de troubles psychiatriques. La première tranche comportera 9 unités pour une capacité totale de 440 lits. La première UHSA sera inaugurée courant 2009 pour les patients détenus des directions régionales pénitentiaires de Lyon et Dijon.

Source : TF1.fr


Les soins psychiatriques dans les prisons jugés « indignes »

STRASBOURG (Reuters) - Les conditions de prise en charge des troubles psychiatriques dans les prisons françaises sont à différents égards contraires à la dignité humaine estime le Comité européen de prévention de la torture (CPT) dans un rapport publié à Strasbourg

Ce comité d’experts du Conseil de l’Europe critique en particulier le fait que ces détenus qui « souffrent de décompensations psychotiques graves » sont souvent placés en quartiers d’isolement, voire en quartiers disciplinaires, faute de pouvoir bénéficier d’une hospitalisation.

Cette situation rencontrée à la centrale de Moulins-Yzeure (Allier) et dans une moindre mesure à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) lors d’une visite périodique effectuée en septembre-octobre 2006 « s’apparente à un traitement inhumain et dégradant », affirme le CPT.

Même verdict concernant le traitement infligé à ces patients de la maison d’arrêt de Fresnes contraints de rester nus dans une cellule d’isolement pendant deux à sept jours, sous la surveillance visuelle du personnel pénitentiaire, en attendant de pouvoir être hospitalisés.

Le gouvernement français, qui a donné son accord, comme c’est la règle, pour la publication de ce rapport, justifie cette mesure par les risques de suicide et indique expérimenter à Fresnes le port d’un pyjama en tissu déchirable.

Le CPT estime en revanche n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante à sa demande de réexamen des mesures de sécurité appliquées aux patients de l’Unité d’hospitalisation sécurisée du centre hospitalier de Moulins-Yzeure.

« Malgré le dispositif sécuritaire mis en place au sein de cette structure de soins, les détenus qui y étaient soignés étaient systématiquement attachés à leur lit, sans interruption, le plus souvent avec des entraves aux chevilles et avec une main menottée au cadre du lit », décrivent les experts.

« Ces entraves et ces menottes étaient également portées aux toilettes et à la douche. Par ailleurs, trois fonctionnaires de police étaient présents aux côtés du patient pendant tout acte médical, même le plus intime », ajoutent-ils.

« Tous les interlocuteurs rencontrés par la délégation, tant dans les ministères compétents (Justice, Santé) que sur le plan local, les personnels de santé et de direction dans les établissements visités, ont admis l’état dramatique dans lequel se trouve la psychiatrie pénitentiaire en France », souligne le CPT.

Gilbert Reilhac 


Article publié sur  Karuna

Utilisation du Taser en France


(...) Sur le papier, tout est clair. Le pistolet électrique ne peut s'utiliser que dans trois cas :

la légitime défense ; quand une personne peut paraître menaçante vis-à-vis d'elle-même ou d'autrui ; pour interpeller des auteurs de crimes ou de délits en situation de rébellion.

L'arme ne doit être employée que dans des endroits dégagés, la victime ne contrôlant pas sa chute. Elle est prohibée lors des manifestations. Pour 450 euros supplémentaires, la version des policiers est munie d'une caméra qui permet de filmer la scène. Les gendarmes recommandent de tester l'arme sur soi. Pour les policiers, "nous ne le préconisons pas, mais nous ne l'interdisons pas", explique Christophe Fichot.

Les statistiques officielles se veulent rassurantes. La police aurait utilisé le Taser 395 fois, dont 165 en 2007. La gendarmerie comptabilise 105 utilisations en 2006 et 160 en 2007. Dans nombre de cas, il s'agissait de maîtriser des forcenés. "Nous avons une baisse parallèle de 14 % de l'usage des armes à feu et de 8 % des blessés dans nos rangs", avance le général Safray.

Aucun chiffre ne convaincra Virginie Barruel, 22 ans. Cette jeune femme de 51 kg pour 1,58 m a été interpellée le 30 avril 2005, à Lyon, à la suite d'une manifestation qui avait dégénéré. Quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) l'ont maîtrisée et électrocutée à bout touchant, alors qu'elle était déjà à terre. Il a été admis après coup que la jeune femme ne faisait pas partie des casseurs. "La BAC a été dépassée ce jour-là et a utilisé le Taser inconsidérément", estime son avocate, Me Frédérique Penot.

l'arme suscite les polémiques. Dernière en date, dans la nuit du 11 au 12 février, les policiers ont utilisé le Taser pour réprimer des échauffourées à l'intérieur du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes. La Préfecture de police de Paris a confirmé, lundi 25 février, les informations rapportées par la Cimade, une association habilitée dans ces centres, et la Ligue des droits de l'homme. Elle a annoncé que l'inspection générale des services (IGS) avait été saisie.

"Il y a facilité d'usage, et donc un risque énorme d'abus", constate Benoît Muracciole, responsable d'Amnesty International. Les organisations de défense des droits de l'homme redoutent ce genre d'usage inconsidéré. Aux Etats-Unis, l'arme est utilisée depuis 1999 par les polices locales, si fréquemment que "to tase" ("taser") est devenu un verbe commun. Les dérives se multiplient, des vidéos mises en ligne montrent régulièrement des citoyens ordinaires foudroyés pour des peccadilles.

Source : leMonde

Rétention de sûreté et Cour Européenne des Droits de l'Homme

La loi sur la rétention de sûreté est "mauvaise" et pourrait ne pas "survivre" à une décision de la Cour européenne des droits de l'Homme, juge Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, dans un entretien à paraître jeudi dans le Nouvel Observateur.

"Le Conseil constitutionnel vient de valider une mauvaise loi", estime M. Mazeaud, alors que les "Sages" ont entériné le principe de la rétention de sûreté tout en limitant fortement l'application du texte.

"La rétention de précaution est une mauvaise mesure, un mauvais principe, mais, malheureusement, il fait désormais partie de notre droit", affirme-t-il.

Ce juriste déplore "une situation bancale". "Le Conseil constitutionnel valide la rétention, en expliquant qu'il ne s'agit pas d'une mesure pénale. Mais en s'opposant à la rétroactivité, il suggère qu'on est quand même dans le pénal: ce n'est qu'en matière pénale que la non-rétroactivité est un principe constitutionnel! Tout ceci est confus juridiquement".

"Rien ne dit que cette nouvelle loi pourrait survivre à une décision de la Cour européenne des droits de l'Homme", avertit M. Mazeaud.

"Si un condamné, soumis à la rétention de sûreté, décide de déposer un recours à Strasbourg, il y a de fortes chances que la Cour nous condamne. Cela mettrait fin à la rétention de sûreté et à tout ce débat mal engagé", ajoute-t-il.

Source : france 24

mercredi 27 février 2008

Rétention de sûreté: une loi qui menace nos principes

Le raisonnement des neuf Sages

Par Michel Huyette (Magistrat)

Le conseil constitutionnel a raisonné par étapes.

Il a d'abord avalisé le principe de cette rétention.

Cette issue n'était pourtant pas certaine. En effet, la constitution prévoyant que "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit" et que "tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable" (articles 8 et 9 de la déclaration des droits de l'homme de 1789, intégrée à notre constitution), il semblait possible de conclure que l'enfermement d'un individu qui n'a commis aucun nouveau délit et dont il n'est pas certain qu'il récidive s'il est remis en liberté n'est pas conforme à ces principes constitutionnels.

Le conseil s'en sort en décidant que la rétention n'est pas une "mesure répressive" ni "une peine" ni une "sanction ayant le caractère d'une punition". Cela est un peu déroutant s'agissant d'un enferment, autorisé par une cour d'assises, décidé par des juges, et appliqué à des délinquants parce qu'ils sont considérés comme potentiellement récidivistes. Ceux qui seront enfermés des années seront toutefois réconfortés de savoir que ce n'est pas une peine qui leur est infligée.


Non-rétroactivité de la peine

Dans un deuxième temps, le conseil a refusé que le nouveau mécanisme s'applique directement à des personnes ayant commis des infractions avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il a indiqué dans sa décision que la rétention,

"eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite, et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement".

C'est, sans utiliser le mot, la réaffirmation du principe de « non rétroactivité » de la peine, appliquée ici à une mesure de sûreté maximale.

Pour faire simple, si vous commettez une infraction, vous ne pouvez être condamné qu'aux sanctions applicables ce jour là. Si plus tard une peine plus sévère est décidée pour cette catégorie d'infraction, elle ne peut pas vous être appliquée rétroactivement.

Le conseil, ayant affirmé que la rétention de sûreté n'est pas une peine, aurait peut-être pu conclure que le principe de non rétroactivité ne s'applique pas à elle.

Mais, en motivant par la gravité de cette mesure de "sûreté", il lui a appliqué le principe fondamental applicable aux peines. En résumé, il est un principe nouveau dans notre droit fondamental: aucune mesure nouvelle, peine ou mesure de sûreté, ne peut être appliquée rétroactivement quand elle porte considérablement atteinte aux libertés individuelles. (...)

Lire la suite de cet article : Rue89

mardi 26 février 2008

« Midnight express » dans un centre de Rétention à Vincennes

Communiqué de la LDH ( Ligue des Droits de l'Homme)

Centre de rétention de Vincennes, nuit du 11 au 12 février 2008:

Brimades, insultes, « renforts » policiers. Tirs au « Taser ». Un « retenu », touché à la poitrine, perd connaissance et se réveille à l’Hôtel-Dieu avec le bras en écharpe et de fortes contusions à la tête, nécessairement postérieures à sa perte de connaissance. Ceux qui ne se sont pas évanouis peuvent témoigner … tant qu’ils sont encore en France.

Les autres « retenus », à qui on ne reproche rien, sont refoulés dans leurs chambres. Aux coups de matraques répondent des brûlures de cigarettes sur deux matelas.

Rappelés, les « renforts » dégradent des objets personnels, piétinent un Coran. On fait descendre dans la cour y compris ceux qui dormaient. Certains sont habillés, d’autres non. On ne laisse aucun d’eux prendre un vêtement.

Dans la cour, fouille intégrale. Ce n’est qu’ensuite qu’un par un ils peuvent rentrer au chaud. Cela dure jusqu’à 4 heures du matin.

Khaled, ressorti de l’hôpital le 14 février, a été reconduit au CRA de Vincennes. Depuis 10 jours, il n’a reçu aucun soin, n’a vu ni médecin ni infirmier. Le bandage de son bras est sale et ensanglanté.

Une enquête de l’IGS est en cours.

Ces faits se sont déroulés dans un lieu évidemment abrité des regards indiscrets, sur le territoire de la République française, en février 2008. La LDH, le SM et le SAF, qui ont décidé de constituer sur ces très graves événements une mission d’enquête de leur Commission Citoyens Justice Police, appellent l’ensemble des médias à leur donner l’écho qu’ils méritent. Il est temps que chaque Français sache ce que l’on fait en son nom.

Paris, le 25 février 2008.

Source : LDH (Ligue des Droits de l'Homme)

Rétention de Sûreté : Les Jeunes Avocats saisissent le Conseil Supérieur de la Magistrature

La lettre de la FNUJA à Monsieur Vincent LAMANDA, Premier Président de la Cour de cassation

Monsieur le Premier Président,

A la suite de la décision n°2008-562 rendue le 21 février 2008 par le Conseil Constitutionnel, le Président de la République a indiqué ce 22 février 2008 qu'il vous avait demandé d'examiner la question de l'application immédiate de la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés pour que vous puissiez faire des propositions visant à atteindre cet « objectif légitime pour la protection des victimes » (cf. communiqué de la Présidence de la République – 22 février 2008).

La presse se fait l'écho de votre acceptation de principe de cette mission, sous certaines réserves

Je me permets de vous écrire car cette annonce porte, à mon sens, une double violation à l'organisation de l'ordre juridictionnel français dont j'entends saisir le Conseil Supérieur de la Magistrature pour Avis :


1/ L'indépendance de la Justice

En vertu de l'article 64 de la Constitution, l'indépendance de l'autorité judiciaire est reconnue, tout en assurant sa garantie par le Président de la République.

Cette indépendance concerne plus particulièrement la magistrature du siège.

Par votre fonction de Premier Président de la Cour de Cassation, vous incarnez la plus haute autorité parmi les magistrats du siège français, et par là même, vous êtes le récipiendaire de cette indépendance dont toute la magistrature française doit rayonner.

Au-delà de vos qualités personnelles, il n'est donc pas envisageable que vous puissiez mener la « mission », de nature éminemment politique, prétendument confiée par le Président de la République, sans rompre avec l'équilibre de notre République démocratique fondée sur l'indépendance de l'autorité judiciaire et la séparation des pouvoirs.


2/ Le rôle du juge : une autorité judiciaire sur le droit positif

Le recours annoncé au Premier Président de la Cour de Cassation crée un trouble dans l'ordonnancement de la règle juridique et juridictionnelle.

Le rôle du juge, et particulièrement celui officiant au sein de la plus haute juridiction française, est de veiller à l'application et à l'harmonisation du droit positif, qui s'entend d'un corps de textes appliqués, constituant la jurisprudence.

La jurisprudence est complémentaire de la Loi, jamais supplétive, ou dans des dispositions qui bannissent toujours les arrêts de règlements de l'ancien régime.

Or, il vous est aujourd'hui demandé de statuer sur un texte en vous invitant à faire œuvre quasi-législative pour pallier l'obstacle anti-constitutionnel posé par le Conseil Constitutionnel.

A cet égard, votre mission mettrait, en fait comme en droit, en concurrence deux juridictions, la Cour de Cassation et le Conseil Constitutionnel qui ont pourtant une répartition juridictionnelle dénuée de toute ambiguïté entre le juge du droit et le juge de la Constitution.

Je tenais à vous exprimer officiellement ma position au nom de la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats, syndicat majoritaire de la profession d'avocats.

Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Président, à l'assurance de mes sentiments dévoués et respectueux.


Lionel Escoffier
Président

Source : fnuja

Rétention de sûreté : les Sages ont éteint les Lumières...

Selon le Conseil, la rétention de sûreté ne serait pas une peine

Le Conseil nous apprend que la rétention de sûreté n'est ni une peine, ni une sanction, ni une mesure de sûreté et qu'à ce titre elle n'entre pas dans le cadre de l'article 8 de la Déclaration susvisée qui est dès lors vidée de son sens et de sa portée, tant il est évident qu'il visait précisément à contrer le genre de mesure que le Conseil vient de valider !

Le manque de lisibilité de la position du Conseil sur la non-rétroactivité de la loi pénale
Tout juste, le Conseil considérant que la rétention de sûreté est une mesure privative de liberté, il décide qu'elle ne peut pas s'appliquer à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement. Mais le Conseil ayant une vision très "originale" de la non-rétroactivité de la loi pénale considère que la surveillance de sûreté est quant à elle immédiatement applicable "dès la publication de la loi aux personnes condamnées pour les crimes très graves prévus par la loi lorsqu'elles sortent de prison". Rappelons que la surveillance de sûreté, introduite dans le texte par le Sénat, consiste en diverses obligations, notamment le placement sous surveillance électronique mobile ou l'injonction de soins. Or, si l'intéressé méconnait les obligations qui lui sont imposées dans le cadre de cette surveillance de sûreté, il pourra, en urgence, être placé en rétention de sûreté s'il fait apparaître qu'il présente à nouveau une particulière dangerosité.

Cette décision est très critiquable, tout d'abord en ce qu'elle rend difficilement compréhensible l'interprétation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Les professeurs de droit et autres auteurs auront de quoi disserter pour les prochaines années à venir.

La Constitution désormais sans gardien

Outre le fait, déjà gravissime, qu'elle valide une loi fortement attentatoire aux principes essentiels qui gouvernent notre système judiciaire depuis deux siècles, elle remet totalement en cause la légitimité du Conseil Constitutionnel, qui apparaît désormais comme une chambre d'enregistrement politicienne, malgré les précautions qui avaient été prises au moment de l'élaboration de la Constitution de 1958 quant au mode de désignation de ses membres, à leur statut et à la durée de leurs fonctions. En reconnaissant la possibilité d'enfermer un homme, non pas en raison d'une accusation portée contre lui ou d'une condamnation définitivement prononcée, mais au seul motif, nonobstant le fait qu'il n'ait pas à nouveau commis de crime ou de délit, qu'il serait potentiellement en mesure de le faire pulvérise instantanément le principe de la présomption d'innocence. Il sera dès lors intéressant de connaitre la position de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, lorsqu'elle aura à juger les premiers recours, d'ici quelques années.

Du principe de légalité des peines et des délits à la consécration de l'art divinatoire

La décision du Conseil Constitutionnel conduit également à donner une importance inégalée en France à la "science" psychiatrique, qui reconnait pourtant elle même ses limites, ouvrant ainsi la porte à l'arbitraire le plus absolu. A ce titre, on se demande bien comment les psychiatres vont pouvoir apprécier la dangerosité d'un intéressé, tant cette notion est absent du vocabulaire de la psychiatrie. Alors que l'affaire Outreau avait mis en lumière de manière criante les limites de l'expertise psychiatrique, le gouvernement, suivi par son Parlement et maintenant par le Conseil Constitutionnel lui donne désormais une place essentielle dans le nouveau dispositif de la rétention de sûreté.


Source : fnuja

Rétention de sûreté ; ce qu’en pense AMNESTY INTERNATIONAL

Mise en place d’un système d’enfermement préventif pour risque d’infraction future


Le 21 février 2008, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision relative à la loi sur la rétention de sûreté Réaction à la décision du Conseil constitutionnel n°2008-562 DC du 21 février 2008 sur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.. Il a invalidé l’application immédiate de la rétention de sûreté aux personnes déjà condamnées, sanctionnant ainsi la rétroactivité de la loi, et a encadré l’application de cette disposition d’un certain nombre de garanties.

Amnesty International France (AIF) rappelle cependant sa vive inquiétude au sujet de cette loi et s’émeut de voir qu’en France, pourra s’appliquer une prolongation indéfinie de la mesure de privation de liberté pour des raisons de dangerosité future ou de possibilité de récidive, sans que la loi ne donne une définition satisfaisante de ces critères pour le moins flous.

L’application de cette mesure entraînera, pour une personne déjà condamnée et ayant purgé sa peine, une privation de liberté prolongée pendant une durée indéterminée, sous une forme d'enfermement comparable à l'incarcération, et donc la mise en place d’une nouvelle perpétuité.

AIF regrette que le Conseil constitutionnel ait validé l’argument peu convaincant du gouvernement soutenant que cette loi n’a pas pour conséquence d’infliger de nouvelle peine mais met en place un dispositif de sûreté à caractère préventif. Cette distinction entre peine et mesure de sûreté est extrêmement critiquable.

Amnesty International considère que cette disposition est inconciliable avec les obligations qui incombent à la France en vertu du droit international relatif aux droits humains tels que le respect du droit à la liberté d’aller et venir et l’interdiction de la détention arbitraire car elle est fondée sur une notion particulièrement floue de la dangerosité d’une personne.