mardi 30 septembre 2008

Droits de l’homme et responsabilité des entreprises

Les entreprises ont le devoir de respecter les droits de l’homme, les Etats celui de les protéger. Telles sont les principales conclusions d’un rapport du conseiller spécial de l’ONU pour la question des entreprises et des droits de l’homme, Klaus Leisinger

Klaus M. Leisinger est membre du Groupe de travail sur les droits de l’homme du Pacte mondial des Nations unies . Il est aussi président et directeur de la Fondation Novartis pour un développement durable et professeur de sociologie à l’Université de Bâle


Klaus Leisinger* - Depuis quelques années, les multinationales sont de plus en plus souvent pointées du doigt pour de graves violations des droits de l’homme dans les pays à faible revenu par habitant. Au rang des délits dénoncés : meurtres politiques (Ken Saro-Wiwa, opposant des compagnies pétrolières au Nigeria), financement de guerres civiles (les « diamants du sang »), soutien à des dictatures (les compagnies pétrolières en Birmanie), atteintes écologiques potentiellement mortelles (l’industrie de l’acier au Kazakhstan) ou encore esclavagisme et mise en danger de la santé des travailleurs (l’industrie textile en Asie du Sud et en Amérique centrale).

A mesure que l’opinion publique se focalise sur le respect des droits de l’homme par les entreprises, elle juge de plus en plus souvent leurs activités en fonction de ce critère-là : un fabricant de machines de chantier s’est ainsi vu accuser de complicité de violation des droits de l’homme parce que des bulldozers de sa marque avaient été utilisés pour la destruction de maisons en Palestine, des embouteilleurs d’eau minérale ont été soupçonnés d’avoir contribué à la pénurie d’eau et des entreprises pharmaceutiques se font clouer au pilori pour vouloir protéger leur propriété intellectuelle en faisant breveter le résultat de leurs investissements dans la recherche.

Or, l’excès de zèle dans ce domaine a un effet pervers : il met au même rang les violations les plus impitoyables (exécutions arbitraires, torture, épuration ethnique) et d’autres plus légères (par exemple, l’absence d’assurances sociales pour les travailleurs immigrés), ce qui a pour conséquence de banaliser les crimes les plus graves.

Le rapport 2008 de John Ruggie, nommé par Kofi Annan conseiller spécial des Nations unies pour la question des droits de l’homme et des entreprises, constitue le meilleur état des lieux des discussions actuelles en la matière.

Les activités des entreprises ont des conséquences qui touchent à tous les droits de l’homme. Celles-ci doivent donc prendre leurs responsabilités dans ce domaine, qui sont différentes mais complémentaires de celles de l’Etat et des autres membres de la société :

- L’Etat est le premier responsable de la défense des droits de l’homme et il lui appartient de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger ses citoyens contre toute forme de violation. Ce devoir de protection (duty to protect) comprend les mesures de prévention aussi bien que l’investigation des violations avérées ou suspectées, la condamnation des coupables et l’attribution de dédommagements.

- Les entreprises ont une responsabilité particulière concernant le respect des droits de l’homme (duty to respect) là où les lois nationales sont inexistantes ou, si elles existent, là où l’Etat n’a pas les capacités institutionnelles (ou la volonté) de les faire respecter. Selon le rapport, la responsabilité minimale qui leur incombe est de n’infliger aucun dommage (do no harm) .

- Les responsabilités sont réparties entre les différents membres de la société. Les entreprises, en tant qu’acteurs de l’économie, remplissent certaines tâches spécifiques que d’autres (les ONG ou l’Etat) n’ont pas.

L e rapport critique le fait que la plupart des entreprises ne disposent d’aucun système formel de surveillance ni de mesure des conséquences de leurs activités économiques sur le respect des droits de l’homme, et réclame l’instauration d’un devoir de diligence ( due diligence ). Celui-ci permettrait aussi de mettre un terme au flou actuel entourant les concepts de « sphère d’influence » et de « complicité ».

Pour une entreprise, adhérer au Pacte mondial des Nations unies de 2000 signifie s’engager à en appliquer « dans sa propre sphère d’influence » les dix principes. Mais la définition de cette « sphère d’influence » donne lieu, depuis le début, à des interprétations divergentes : les entreprises s’efforcent d’en réduire la portée (par exemple le périmètre de l’usine) tandis que les ONG cherchent à l’étendre (à leurs yeux, payer des impôts à un régime politique méprisant les droits de l’homme équivaut à soutenir ceux qui violent ces mêmes droits).

Le rapport final recommande de faire la distinction entre, d’un côté, les « effets directs » (impact) des activités d’une entreprise et, de l’autre, sa « marge de manœuvre » (leverage) en matière de respect des droits de l’homme (sa capacité à influencer ses fournisseurs ou les autorités locales). S’il appartient indiscutablement à chaque entreprise d’éviter toute violation des droits de l’homme dans les effets directs de ses activités, son influence sur d’autres acteurs ressortit à son libre arbitre dans l’exercice de ses responsabilités. Pour clarifier les responsabilités concrètes de chacun dans un contexte spécifique, les entreprises devraient donc signer une convention de diligence ( due diligence ) après avoir analysé de manière critique les activités de l’entreprise et de son réseau en tenant compte des conditions locales.

Le deuxième principe du Pacte mondial de l’ONU demande aux entreprises de veiller à ne pas se rendre complices de violations des droits de l’homme. On distingue trois formes de complicité :

- la complicité directe, lorsqu’une entreprise aide l’Etat à commettre des violations (déplacement forcé de populations pour l’implantation de sites industriels ou d’usines hydroélectriques) ;

- la complicité de profit, lorsque l’entreprise bénéficie des violations commises par des tiers (répression violente par la milice de l’entreprise de manifestations pacifiques contre les effets délétères des activités commerciales de celle-ci) ;

- la complicité silencieuse, qui consiste à rester passif face à des violations répétées des droits de l’homme, au lieu d’aborder la question avec les autorités responsables et de contribuer ainsi à améliorer la situation.

On retrouve ici, une fois de plus, la distinction traditionnelle entre ce qui est légal au regard des lois locales et ce qui est perçu comme légitime par les sociétés modernes. Aucune « bonne » entreprise ne peut se cacher derrière de « mauvaises » lois : ses pratiques légales, mais illégitimes, ne lui vaudront sans doute pas de se retrouver devant un tribunal officiel, mais le jugement du « tribunal de l’opinion publique » tombera, lui, tel un couperet.

Nous savons bien que tout ce qui a été clarifié et précisé par écrit dans le rapport Ruggie se verra tôt ou tard soumis à des interprétations divergentes en fonction des intérêts de chacun. Le débat se poursuit donc, quand bien même la Chambre de commerce internationale, l’Organisation internationale des employeurs et les organisations non gouvernementales actives dans la défense des droits de l’homme ont réservé un accueil positif au rapport. Le mandat de John Ruggie a été reconduit pour trois ans avec pour mission, notamment, d’approfondir le contenu concret des obligations des entreprises dans le domaine des droits de l’homme.

Le respect des droits de l’homme fait partie de la culture morale du monde civilisé. Comme tous les acteurs de la société, les entreprises doivent travailler à les intégrer comme garde-fou dans l’orientation de leurs activités. Dans la gestion des affaires courantes, les instances dirigeantes devraient définir une politique d’entreprise et des directives visant à assurer le respect des droits de l’homme. La mise en pratique des principes éthiques devrait être du ressort de la hiérarchie et faire l’objet de vérifications.

Là où il existe un vide juridique, les entreprises éthiques savent se montrer créatives et agir dans le sens des normes et des conventions internationales. Elles respectent, par leurs agissements et leurs décisions, la Déclaration des droits de l’homme et leurs propres directives internes. Celles qui négligent les principaux consensus de la communauté internationale se placent hors du champ du commerce acceptable.

Depuis juin 2008, le rapport du conseiller spécial pour la question des entreprises et des droits de l’homme constitue une nouvelle norme de référence pour une gestion des affaires conforme aux droits de l’homme. Les entreprises agissant de manière responsable analyseront leurs pratiques commerciales et leurs effets sur les tiers à la lumière de ce document, et adopteront le cas échéant les mesures correctives nécessaires.



jeudi 25 septembre 2008

Lettre au gouvernement français à propos des observations faites par deux instances internationales des droits humains

Human Rights French, Mon 22 Sep 2008


Lettre au gouvernement français à propos des observations faites par deux instances internationales des droits humains sur les politiques de lutte contre le terrorisme


Paris, le 22 septembre 2008
Madame le Ministre,
Madame le Garde des Sceaux,

Nous nous adressons à vous afin d’attirer votre attention sur les conclusions de deux examens récents du bilan de la France en matière de droits humains, réalisés par deux instances internationales des droits humains faisant autorité. 

En juillet, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a effectué un examen approfondi du respect par la France de ses obligations envers le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En mai, la France se trouvait parmi le deuxième groupe de pays examinés dans le cadre du nouveau mécanisme d’Examen périodique universel (EPU) au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Les deux mécanismes ont rigoureusement étudié la compatibilité des politiques et de la législation de la France en matière de lutte contre le terrorisme avec ses obligations internationales au regard des droits humains. 

Dans le contexte de son projet global portant sur le respect des droits humains dans la lutte contre le terrorisme, Human Rights Watch a examiné les pratiques et la législation françaises en matière de lutte contre le terrorisme dans deux rapports en 2007 et 2008. 

Au nom de la prévention : des garanties insuffisantes concernant les éloignements pour des raisons de sécurité nationale », publié en juin 2007, examine comment les procédures relatives à l’éloignement forcé de ressortissants étrangers accusés de liens avec le terrorisme et l’extrémisme manquent de garanties suffisantes contre des violations des droits fondamentaux, par exemple la protection contre le renvoi vers un pays où existent des risques de tortures ou autres mauvaistraitements. 

« La justice court-circuitée : les lois et procédures antiterroristes en France. » publié en juillet 2008, montre que plusieurs aspects de l’approche de la justice pénale de la France en matière de lutte contre le terrorisme posent problème et mettent à mal l’Etat de droit et les normes internationales en matière de procès équitable. Les préoccupations exprimées par le Comité des droits de l’homme, ainsi que par des pays pairs au cours de l’Examen périodique universel (EPU), rejoignent nombre de nos conclusions. 

Nous vous pressons d’agir sur la base des recommandations formulées dans les Observations finales du Comité et le Rapport du Groupe de travail sur l’EPU de la France, afin de mettre les pratiques et les lois françaises en conformité avec les lois internationales en matière de droits humains. 

Interdiction absolue de renvois vers un pays où existent des risques de torture et autres mauvais traitements. Le Comité des droits de l’homme a souligné que la France avait une obligation contraignante de garantir que toute décision de renvoyer un étranger, y compris un demandeur d’asile, vers son pays d’origine soit prise à l’issue d’une procédure équitable permettant d’évaluer effectivement le risque de violations des droits humains encouru par l’intéressé à son retour. A cet égard, le Comité a exprimé son inquiétude concernant l’absence de suspension automatique de l’expulsion en cas d’appel, lorsque la « sécurité nationale » est en jeu. Tous les individus frappés d’un arrêté d’expulsion, selon le Comité, devraient disposer de suffisamment de temps pour déposer une demande d’asile, bénéficier de l’assistance d’un traducteur et pouvoir « exercer leur droit de recours avec effet suspensif ».

La question a également été soulevée au cours de l’EPU de la France au Conseil des droits de l’homme. Le Rapport du Groupe de travail sur l’examen de la France a noté parmi ses recommandations que la France devrait « faire des efforts concluants pour respecter ses obligations internationales lui imposant de ne renvoyer aucune personne par la force dans un pays où elle pourrait risquer de subir de graves violations de ses droits fondamentaux, notamment la torture ou d’autres mauvais traitements », et qu’elle devrait « adopter de nouvelles mesures (…) pour être sûre de pouvoir répondre aux demandes éventuelles du Comité contre la Torture en prenant dans certains cas des mesures provisoires en vue de prévenir les infractions aux dispositions de la Convention contre la Torture ».

Selon la loi en vigueur, le défaut de suspension automatique des expulsions en cas d’appel crée une situation dans laquelle les personnes frappées d’expulsion n’ont pas accès à un recours effectif. Les personnes craignant que leur expulsion ne les expose à des risques de subir la torture ou des mauvais traitements peuvent présenter une requête en référé liberté, et le juge du référé liberté doit décider dans les 48 heures de suspendre ou non l’arrêté d’expulsion et/ou l’arrêté désignant le pays de retour.

Une décision négative peut faire l’objet d’un recours devant la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d’Etat. Si les autorités suspendent en général l’expulsion pendant que le juge de référé liberté examine le cas, elles n’en ont pas l’obligation. Dans des cas impliquant la sécurité nationale, la présentation d’un recours en matière d’asile suspend l’expulsion seulement en première instance. De ce fait, une décision négative initiale de l’Office français des réfugiés peut entraîner la reconduite immédiate à la frontière même si l’intéressé a formé un recours contre la décision devant la Commission de recours des réfugiés.

Human Rights Watch note avec satisfaction la réforme législative de novembre 2007 donnant aux personnes désirant demander asile en France le droit à un recours dans ce pays contre le refus d’entrée sur le territoire. La réforme a été entreprise pour se conformer avec une décision d’avril 2007 de la Cour européenne des droits de l’homme jugeant que la France avait violé les droits d’un demandeur d’asile érythréen, parce qu’il n’avait eu accès à aucun recours suspensif à la suite du refus de son admission en France au titre de l’asile. 
Dans cette affaire, la Cour européenne a jugé que la « pratique » de suspendre l’expulsion jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur des requêtes en référé liberté « ne peut pas se substituer à une garantie de procédure fondamentale de recours suspensif ». Toutefois, la réforme n’a pas étendu ce droit à d’autres personnes qui encourent un risque de mauvais traitement en cas de renvoi vers le pays d’origine.

Le Comité de l’ONU contre la Torture (CAT) a condamné la France par deux fois depuis 2005 pour avoir refoulé des personnes qui avaient fait état de leurs craintes d’être torturées au retour dans leur pays, avant que leurs recours aient été complètement examinés. 

Dans les deux cas, la France a ignoré les demandes formulées par le CAT pour l’adoption de mesures provisoires pendant que le Comité examinait les recours. Le cas le plus récent, en mai 2007, concernait Adel Tebourski, détenteur de la double nationalité française et tunisienne, et déchu de sa nationalité française afin d’être expulsé vers la Tunisie en août 2006.


Normes internationales pour un procès équitable

Le Comité des droits de l’homme ainsi que le mécanisme de l’EPU ont noté que des aspects des procédures et du droit pénal français dans les affaires de terrorisme posent problème. Le Comité a exprimé de graves préoccupations au sujet du manque de protections appropriées pendant la garde à vue ainsi que de la longueur de la détention provisoire dans les affaires de terrorisme. 

Le Rapport du Groupe de travail sur l’EPU de la France fait référence aux préoccupations exprimées par le Rapporteur spécial de l’ONU, Martin Scheinin, à l’égard de la protection des droits humains dans le cadre de la lutte de la France contre le terrorisme. Ces préoccupations ont fait l’objet d’une communication au gouvernement français en avril 2006. M. Scheinin a soulevé des questions portant sur la définition vague des délits de terrorisme dans le code pénal, la prolongation de la garde à vue et l’accès tardif à un avocat pendant la garde à vue, ainsi que sur la longueur de la détention provisoire. Human Rights Watch souhaite savoir si le gouvernement français a déjà répondu au Rapport du Groupe de travail, comme il s’était engagé à le faire pour juillet 2008.


Garde à vue. 

Notant que les personnes soupçonnées d’actes de terrorisme peuvent être maintenues jusqu’à six jours en garde à vue avant d’être déférées devant un juge, le Comité s’est dit préoccupé par le fait que les suspects n’ont accès à un avocat qu’après 72 heures de garde à vue, et que les suspects ne sont pas informés de leur droit à garder le silence.

Le Comité a pressé le gouvernement de faire en sorte que toute personne arrêtée du chef d’une infraction pénale, y compris d’un acte de terrorisme, soit déférée devant un juge « dans les plus brefs délais ». 

Conscient que le droit de s’entretenir avec un avocat « constitue (…) une garantie fondamentale contre les mauvais traitements », le Comité a déclaré que le gouvernement devrait faire en sorte que les personnes soupçonnées de terrorisme bénéficient sans délai de l’assistance d’un avocat. Le Comité a exprimé ses préoccupations sur l’accès tardif à un avocat dans les affaires de terrorisme dans ses Observations finales de 1997 sur le troisième rapport périodique de la France. Enfin, le Comité a stipulé que toute personne arrêtée du chef d’une infraction pénale devrait être informée qu’elle a le droit de garder le silence pendant l’interrogatoire de police.

Le manque de protections pendant la garde à vue dans les pratiques et les lois en vigueur met à mal le droit des détenus à une défense effective, garanti à l’Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), à un moment critique. 

Pendant la garde à vue, les détenus ont un accès extrêmement limité aux conseils d’un avocat. Cet accès n’est garanti qu’au bout de 72 heures (ou 96 heures si la garde à vue est portée à six jours). Les visites suivantes ne sont autorisées qu’au bout de 24 heures. Chaque visite est limitée à 30 minutes, et l’avocat n’a accès à aucune information détaillée quant aux charges qui pèsent sur son client. 

Un tel système bafoue l’une des protections les plus fondamentales contre les erreurs judiciaires et le risque de mauvais traitements en détention, à savoir l’accès à un avocat dès le début de la détention. Le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe a critiqué à maintes reprises ces restrictions de l’accès à un avocat et a exhorté la France dans chaque rapport sur le pays depuis 1996 à améliorer les protections pendant la garde à vue, notamment l’accès à un avocat dès le début de la détention.

La police peut interroger les détenus selon son bon vouloir pendant la garde à vue en l’absence de leur avocat, à toute heure du jour ou de la nuit, ce qui conduit à des interrogatoires oppressants. 

Human Rights Watch a recueilli des témoignages faisant état de privations de sommeil, de cas de désorientation, d’interrogatoires constants et répétitifs, de pressions psychologiques intenses et même de sévices corporels pendant cette période. 

Bien que tous les détenus en France aient le droit de garder le silence, ce droit ne leur est pas notifié avant ou pendant les interrogatoires, et toutes les déclarations faites pendant la garde à vue sont recevables au tribunal. Une réforme récente instituant l’enregistrement audio et vidéo de tous les interrogatoires ainsi que des audiences avec le juge d’instruction a explicitement exclu les affaires de terrorisme.


Détention provisoire

Le Comité a exprimé ses préoccupations au sujet du fait que les personnes soupçonnées de terrorisme peuvent être maintenues en détention provisoire pour des durées pouvant aller jusqu’à quatre ans et huit mois, concluant qu’une « pratique institutionnalisée d’une détention prolongée aux fins d’enquête (…) est difficilement conciliable avec le droit garanti dans le Pacte d’être jugé dans un délai raisonnable ». 

Le Comité a pour la première fois exprimé ses préoccupations au sujet de la longueur de la détention provisoire dans ses Observations finales de 1997 sur le troisième rapport périodique de la France. Dans ses récentes conclusions, le Comité a recommandé que la France limite la durée de la détention provisoire et renforce le rôle des juges des libertés et de la détention.

La grande majorité des suspects de terrorisme sont détenus et poursuivis sous le chef d’accusation vague d’appartenance à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Classifiée comme un délit mineur, cette infraction donne lieu à une durée maximum de trois ans et quatre mois en détention provisoire et elle est punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans. 

Les infractions terroristes graves —notamment un rôle de direction dans une telle organisation— donnent lieu à un maximum de quatre ans et huit mois en détention provisoire et sont punies d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité. Les enquêtes sur les réseaux de terrorisme international présumés en France peuvent souvent durer des années, au cours desquelles un grand nombre de personnes – y compris les conjoints des principaux suspects – peuvent être détenues, interrogées et placées en détention provisoire sur la base de preuves minimes.

Si une réforme positive de 2001 a confié la responsabilité de la décision de placer un suspect en détention provisoire dans les mains de magistrats spécialisés, les juges des libertés et de la détention, en pratique ces juges contredisent rarement les recommandations des juges d’instruction. Ceci semble être le cas tout particulièrement dans les enquêtes vastes et complexes impliquant de nombreux accusés et des dossiers volumineux.

Rétention de sûreté
Le Comité a conclu que la loi adoptée en février 2008, qui permet de placer certains auteurs de crimes violents en rétention de sûreté pour des périodes d’un an renouvelables après qu’ils ont accompli leur peine de réclusion, pourrait violer le Pacte. 

En particulier, le Comité a conclu que le régime de détention provisoire prévu par la nouvelle loi remet en question le droit à la présomption d’innocence et le droit à ne pas être condamné deux fois pour le même délit (ICCPR article 14), ainsi que le droit de contester la légalité de la détention (ICCPR article 9). 

Le Comité a également noté que la loi pose des problèmes par rapport à l’article 15 de l’ICCPR interdisant d’imposer une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où le délit a été commis. Le Comité a recommandé que la loi soit réexaminée à la lumière des obligations de la France à l’égard de l’ICCPR.

La France est à la pointe pour faire avancer le respect pour le droit international en matière de droits humains, ainsi que pour élargir ses limites, dans le monde entier. Elle est aussi devenue une voix faisant autorité sur les questions de la lutte contre le terrorisme. La France peut encore mieux faire la preuve de son autorité dans ces deux domaines en garantissant que ses politiques et sa législation en matière de lutte contre le terrorisme, ainsi que les mesures prises contre la récidive, sont pleinement en accord avec la totalité des obligations en matière de droits humains. Aussi, nous vous invitons instamment à mettre en œuvre les recommandations émanant du Comité des droits de l’homme et de l’Examen périodique universel.

Nous vous remercions de votre attention et serions heureux de poursuivre le dialogue sur ces questions importantes.

Nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération.



Holly Cartner
Directrice exécutive
Division Europe et Asie Centrale
Human Rights Watch

Jean-Marie Fardeau
Directeur
Bureau de Paris
Human Rights Watch

Copie à :

M. Jean-Luc Warsmann, Président de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale
M. Jean-Jacques Hyest, Président de la Commission des lois du Sénat
M. Jean-Baptiste Mattei, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès des Nations Unies à Genève
M. François Zimeray, Ambassadeur pour les droits de l’Homme
M. Joël Thoraval, Président de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme
M. Michel Forst, Secrétaire général de la Commission nationale consultative des Droits de l’homme
M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté  

dimanche 14 septembre 2008

Cinq pays responsables de toutes les exécutions de mineurs délinquants depuis 2005

Il suffirait que cinq pays abolissent l’application de la peine de mort à des mineurs pour que l’interdiction de la condamnation à mort de mineurs soit universelle, comme le souligne Human Rights Watch dans un rapport publié (le 10 septembre 2008- en anglais) 


Les gouvernements devraient s’engager, lors de la séance d’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies la semaine prochaine, pour développer au plus vite des réformes nécessaires pour protéger les droits des enfants en conflit avec la loi.

Dans ce rapport en anglais de 20 pages, qui s’intitule « The Last Holdouts: Ending the Juvenile Death Penalty in Iran, Saudi Arabia, Sudan, Pakistan, and Yemen » (« Les derniers irréductibles : Abolir la peine de mort pour mineurs en Iran, en Arabie Saoudite, au Soudan, au Pakistan et au Yémen »), Human Rights Watch met en lumière les failles du droit et de la pratique qui ont entraîné depuis janvier 2005 trente-deux exécutions de mineurs délinquants dans cinq pays : l’Iran (26), l’Arabie Saoudite (2), le Soudan (2), le Pakistan (1) et le Yémen (1). 

Le rapport présente également les cas de personnes exécutées récemment ou condamnées à la peine capitale dans ces cinq pays : ce sont plus de cent mineurs délinquants qui attendent aujourd’hui dans le couloir de la mort le résultat d’un appel en justice, ou dans certains cas, de négociations pour obtenir le pardon de la famille en échange d’une compensation financière.

« Nous ne sommes qu’à cinq états d’une abolition totale de la peine de mort pour les mineurs », a déclaré Clarisa Bencomo, chercheuse à la division de l'enfant de Human Rights Watch. « Ces quelques irréductibles devraient abandonner cette pratique barbare pour que dans le futur personne ne soit plus exécuté pour un crime commis pendant l’enfance. »

Tous les états du globe ont ratifié ou ont adhéré à des traités les obligeant à garantir que la condamnation à mort ne soit pas appliquée aux mineurs délinquants âgés de moins de 18 ans au moment du crime. La vaste majorité des états est en conformité avec cette obligation. Ces dernières années, certains états, dont la Chine et les États-Unis, ont aboli l’application de la peine de mort aux mineurs et ont renforcé la protection juridique de ces derniers.

Les exécutions de mineurs délinquants se font pour la plus grande partie en Iran. En effet, lors des affaires capitales les juges peuvent condamner l’accusé à la peine de mort si ce dernier a atteint la « majorité », fixée par la législation iranienne à 9 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons. A ce jour en 2008, l’Iran a ainsi exécuté six mineurs délinquants, dont deux en août : Behnam Zare le 26 et Seyyed Reza Hejazi le 19. Plus de cent trente autres mineurs délinquants sont actuellement condamnés à la peine capitale.

En Arabie Saoudite, les juges peuvent condamner une personne à la peine capitale en se basant sur le premier fait constaté : l’apparition de la puberté ou le quinzième anniversaire. En 2007, l’Arabie Saoudite a exécuté au moins deux mineurs délinquants : Dhahiyan ben Rakan ben Saad al-Thawri al-Sibaii le 21 juillet et Muuid ben Husayn ben Abu al-Qasim ben Ali Hakami le 10 juillet. Hakami n’avait que 13 ans à l'époque du crime dont on l’a accusé et 15 ans au moment de son exécution. Selon son père, les autorités saoudiennes n’ont informé la famille de son exécution que quelques jours plus tard, et le corps de l’enfant ne leur a jamais été remis.

Au Soudan, la constitution de transition signée en 2005 autorise la condamnation à mort des mineurs dans certains cas, dont le meurtre et le vol à main armée entraînant le meurtre ou le viol. La formulation vague de la loi sur l’enfance de 2004 laisse entrevoir la possibilité qu’un enfant puisse être condamné à mort en application du code pénal de 1991, qui définit l’adulte comme étant « une personne dont la puberté a pu être constatée grâce à des caractéristiques naturelles et qui est âgée de quinze ans (...) [ou] qui a atteint dix-huit ans (...) même si les caractéristiques de la puberté ne sont pas constatées ». 

Avec plus de 35% de naissances non enregistrées, même les mineurs délinquants les plus jeunes peuvent être condamnés à mort puisqu’ils ne possèdent pas de certificat de naissance qui prouve leur âge au moment de l’infraction. Le Soudan a exécuté deux jeunes mineurs, Mohammed Jamal Gesmallah et Imad Ali Abdullah, le 31 août 2005, et a condamné au moins quatre autres mineurs délinquants à la peine capitale depuis janvier 2005.

Au Pakistan, l’ordonnance relative au système judiciaire pour les mineurs datée de 2000 abolit la condamnation à mort dans le cas de crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits. Cette ordonnance doit cependant encore être mise en application sur tout le territoire. Avec seulement 29,5 pour cent de naissances enregistrées, les mineurs délinquants se trouvent parfois dans l’impossibilité de prouver qu’ils n’avaient pas atteint l’âge adulte lorsque le crime a été commis. C’était le cas de Mutabar Khan, exécuté le 13 juin 2006.

Au Yémen, le code pénal prévoit une peine de 10 ans maximum pour les crimes capitaux commis par des personnes âgées de moins de 18 ans. Mais dans un pays où seulement 22 pour cent des naissances sont enregistrées et où le recours à un expert pour déterminer l'âge de l’accusé n’est pas toujours possible, il est presque impossible pour les enfants de prouver l’âge qu’ils avaient au moment du crime. La dernière exécution d’un mineur délinquant, Adil Muhammad Saif al-Ma’amari, date de février 2007. Il avait pourtant affirmé n’être âgé que de 16 ans au moment des faits et avoir été contraint d’avouer sous la torture. Selon des organisations non gouvernementales et des sources gouvernementales, au moins 18 autres mineurs délinquants étaient dans le couloir de la mort en 2007.

« Même les états qui continuent de mettre à mort des mineurs délinquants dénoncent de telles exécutions », a observé Bencomo. « Il est clair que les modifications du droit et de la pratique doivent être accélérées. »

Dans les semaines à venir, le Secrétaire général des Nations Unies va rendre compte à l’Assemblée générale de la mise en œuvre de la résolution historique adoptée par l’Organisation en décembre 2007, qui appelait à un moratoire sur les exécutions appliquées à tous crimes confondus. Human Rights Watch appelle les États membres des Nations Unies à demander que le Secrétaire général élabore un rapport similaire qui traiterait du respect par chaque état de l’abolition totale de la peine de mort appliquée aux mineurs et qui inclurait les informations suivantes :  

1. le nombre de mineurs délinquants actuellement condamnés à mort et le nombre de mineurs exécutés au cours des cinq dernières années ;
2. le taux d’enregistrement des naissances ;
3. l’application par l’état de la législation nationale pertinente, incluant la mise en œuvre de mécanismes qui garantissent aux mineurs délinquants une aide juridique au cours de chacune des étapes de l’enquête et du jugement.  




vendredi 12 septembre 2008

Exécution de trois condamnés à mort au Japon

Déclaration de la Présidence au nom de l'Union européenne à la suite de l’exécution de trois condamnés à mort au Japon


L'Union européenne est profondément préoccupée par l'annonce, par les autorités japonaises, de la pendaison de trois condamnés à mort, M. Yoshiyuki Mantani, âgé de 68 ans, M. Mineteru Yamamoto, 68 ans, et M. Isamu Hirano, 61 ans.

L'accélération des exécutions au Japon confirme une évolution particulièrement inquiétante, alors que plus de 100 détenus attendent leur exécution dans les couloirs de la mort.

L'Union Européenne réaffirme qu'elle est opposée de longue date à l'application de la peine de mort, quelles que soient les circonstances, et s'efforce d’oeuvrer à son abolition partout dans le monde en cherchant à obtenir à l'échelle mondiale un moratoire sur les exécutions, première étape vers la réalisation de cet objectif. 

L'Union européenne considère que l'abolition de la peine de mort est essentielle à la protection de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l'homme. Toute erreur judiciaire dans l'application de la peine de mort entraîne la perte irréparable et irréversible d'une vie humaine. 

Aucun système judiciaire n'est à l'abri d'erreurs et il n'existe aucune preuve irréfutable établissant que la peine de mort apporte une valeur ajoutée en termes d'effet dissuasif.