vendredi 25 avril 2008

Droit du travail, ce qui va changer

Un article de mon confrère Christian DECAUX- Avocat au Barreau de DIJON

Après plusieurs mois de négociations, syndicats et organisations professionnelles ont conclu le 11 janvier 2008 un accord (national interprofessionnel) réformant (a minima pour certains, largement pour d’autres) le Droit du Travail.

Il s’agit de l’’Accord sur la Modernisation du Marché du Travail".

Sa validité est subordonnée à la publication d’une loi. Un projet de loi a été déposé devant l’Assemblée Nationale. Il sera examiné par Députés et Sénateurs en avril et mai 2008. La loi pourrait entrer en vigueur avant l’été. Elle reprendra le fruit des dispositions négociées par les partenaires sociaux.

Les dispositions principales intéressant l’entreprise sont les suivantes :

I – La période d’essai

La période d’essai devra être mentionnée dans le contrat de travail ou la lettre d’embauche. A défaut, le salarié ne sera soumis à aucune période d’essai.

Elle n’a d’autre but que de permettre à l’employeur d’évaluer la compétence du salarié. Inutile donc de profiter de cette période d’essai pour rompre le contrat pour motif économique ou pour toute cause autre que l’inadaptation du salarié au poste. La rupture serait illicite.

La durée maximale de la période d’essai serait la suivante :

Ouvriers et Employés : 2 mois
Techniciens et Agents de Maîtrise : 3 mois
Cadres : 4 mois

Un renouvellement ne sera possible qu’une fois et à la condition qu’un accord de branche étendu l’autorise. La durée maximale sera donc de 4 mois, 6 mois et 8 mois. Selon les tribunaux, l’employeur devra aussi recueillir l’accord exprès du salarié.

La durée d’un stage professionnel intégré à un cursus professionnel précédant immédiatement l’embauche devra être déduite de la période d’essai dans la limite cependant de la moitié de la période d’essai.

Pour rompre une période d’essai, l’employeur doit respecter un préavis minimum de 48 H au cours du premier mois de présence, de 2 semaines après un mois de présence et 1 mois après 3 mois de présence. Quant au salarié, il n’aura à respecter qu’un délai de 48 H et cela quelque soit la durée de la période d’essai !

Il convient de rappeler que pendant la période d’essai, chaque partie peut, à tout moment, rompre le contrat de travail sans entretien préalable et sans obligation de motivation.

La rupture n’est cependant pas totalement libre. Elle peut être abusive et ouvrir droit à des dommages et intérêts si la période d’essai a été détournée de son objet, si la rupture a été décidée pour une raison autre que l’insuffisance professionnelle du salarié…

II – Rupture du contrat de travail

C’est sans aucun doute la disposition la plus novatrice de l’accord.

Aujourd’hui, les deux principaux types de rupture d’un contrat de travail sont le licenciement ou la démission (outre des types marginaux tels que la résiliation judiciaire, la prise d’acte…).

Il est institué un nouveau type de rupture intervenant d’un commun accord entre l’employeur et le salarié : la rupture conventionnelle du contrat de travail. La loi prend soin de préciser que ce mode de rupture ne pourra être imposé.

Il faudra respecter 3 étapes :

Entretien(s) préalable(s). Le salarié pourra, comme aujourd’hui, se faire assister par un salarié de l’entreprise ou par un conseiller extérieur si l’entreprise n’est pas dotée de Représentants du Personnel. Si le salarié est assisté, l’employeur pourra lui aussi se faire assister. C’est nouveau. Auparavant l’employeur n’avait pas la faculté de se faire assister, sauf momentanément, si la présence d’une personne à ses côtés était de nature à éclairer la discussion.

Signature d’un accord (et rétractation possible). L’accord devra mentionner le montant de l’indemnité de rupture qui devra au minimum être égale à l’indemnité légale de licenciement .

L’accord devra aussi fixer la date d’effet de la rupture (au plus tôt le lendemain de l’homologation de l’accord par le Directeur Départemental du Travail). Chacune des parties pourra revenir sur l’accord dans les 15 jours suivant sa signature (droit de rétractation) par lettre.

Un formulaire type de rupture conventionnelle sera publié par arrêté ministériel.

Homologation. Le délai de 15 jours passé, le formulaire devra être adressé au Directeur Départemental du Travail pour être homologué. Le Directeur Départemental du Travail dispose lui aussi d’un délai de 15 jours pour instruire le dossier. A défaut de réponse dans les 15 jours, la rupture conventionnelle est réputée homologuée et le Directeur Départemental du Travail est dessaisi. La rupture produira ses effets au plus tôt le lendemain de l’homologation ou le lendemain de l’expiration du délai de 15 jours en cas de silence du Directeur Départemental du Travail.

Les salariés protégés pourront eux aussi convenir avec l’employeur d’une rupture conventionnelle. Mais il s’agira alors non pas d’une homologation de la convention par le Directeur Départemental du Travail, mais d’une autorisation à demander à l’Inspecteur du Travail.

Le Conseil de Prud’hommes restera compétent pour statuer sur tout litige relatif à la cessation, à l’homologation (ou à l’absence d’homologation de la rupture).

Le salarié dont le contrat fera l’objet d’une rupture conventionnelle homologuée aura droit aux allocations de chômage. Les partenaires sociaux doivent se réunir pour modifier, sur ce point, le régime d’assurance chômage.

III – L’indemnité légale de licenciement

Elle serait due, non plus à partir de 2 années d’ancienneté, mais seulement à partir d’une année d’ancienneté. L’indemnité légale de licenciement serait de 1/5ème de mois de salaire par année de présence (actuellement 1/10ème et majoration à partir de 10 ans d’ancienneté ; le double en cas de licenciement économique). Il n’y aurait plus de distinction selon que le licenciement a une cause économique ou une cause inhérente à la personne du salarié.

L’indemnité légale ne s’appliquera que lorsqu’il n’existe pas de dispositions conventionnelles ou contractuelles offrant une indemnité supérieure.

Un décret sera publié après promulgation de la Loi pour modifier le Code du Travail sur ce point.

IV – Le retour du reçu pour solde de tout compte

Depuis la loi de Modernisation Sociale du 17 janvier 2002, le reçu pour solde de tout compte n’avait plus d’effet libératoire. S’il en était délivré un, il n’avait la valeur que d’un simple reçu des sommes qui y étaient mentionnées.

L’accord du 11 janvier 2008 a rétabli la valeur libératoire du reçu. Le reçu pourra être dénoncé dans un délai de 6 mois (2 mois, avant 2002). Au-delà, et à défaut de dénonciation, le reçu est libératoire. Le salarié ne pourra plus contester les sommes visées par le reçu qu’elles concernent l’exécution du contrat de travail (salaire, primes, heures supplémentaires…) ou la rupture du contrat de travail (indemnité de préavis, indemnité de licenciement, indemnité de non concurrence…).

Mais le salarié pourra, semble-t-il, toujours contester la régularité et la légitimité de son licenciement.

V – Des intentions sans suite pour l’instant :


Motivation du licenciement
Plafond d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse

Actuellement, la lettre de licenciement doit comporter le motif du licenciement. A défaut d’énonciation, ou en cas d’énonciation insuffisante, le licenciement est réputé sans cause réelle et sérieuse, ouvrant droit à des dommages et intérêts pour le salarié.

Les partenaires sociaux avaient envisagé de s’écarter de cette règle en permettant au Juge d’examiner des motifs, même non cités. Cet élargissement des pouvoirs du Juge n’est pas repris par la loi. Le Juge ne pourra examiner que les motifs mentionnés dans la lettre de licenciement. Il restera donc toujours impossible d’invoquer ultérieurement, par exemple à l’occasion d’un contentieux prud’homal, des motifs qui n’ont pas été cités dans la lettre de licenciement. Un groupe de travail se penche cependant sur les modalités de l’énonciation des motifs dans la lettre de licenciement.

De même, les partenaires sociaux avaient envisagé de fixer un plafond aux dommages et intérêts pouvant être alloués au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. Cette notion de plafond semble abandonnée. La fixation relèvera toujours des pouvoirs souverains du Juge qui tiendra compte de l’ancienneté, de l’âge, de la durée du chômage, du préjudice moral… Un groupe de travail mènera cependant une réflexion sur ce sujet.

VI – Dispositions diverses

CNE : il est abrogé. Plus exactement, il devient un CDI de droit commun.

Inaptitude physique :

En cas de licenciement pour impossibilité de reclassement du salarié déclaré inapte, les indemnités de rupture (indemnité légale ou conventionnelle de licenciement) seront prises en charge par un fond de mutualisation dont la gestion sera confiée à l’AGS. Cela ne concernera cependant que les inaptitudes d’origine non professionnelles.

Création d’un nouveau type de CDD (Contrat à Durée Déterminée à objet défini) :

Il s’agirait d’un contrat intéressant les Ingénieurs et Cadres. Ce contrat aurait une durée comprise entre 18 et 36 mois en vue de la réalisation d’un objet défini. Il ne pourra être conclu que s’il est prévu par un accord de branche ou par un accord d’entreprise.

Ce nouveau type de CDD ne sera créé qu’à titre expérimental et s’inspire de la réglementation propre aux contrats de chantier dans le BTP.

Conciliation prud’homale :

L’accord du 11 janvier 2008 veut réhabiliter la conciliation prud’homale. Pour que l’audience de conciliation soit susceptible d’aboutir à une conciliation, le demandeur (le plus souvent le salarié) devra adresser au défendeur (l’employeur) l’objet de sa réclamation avant l’audience de conciliation. L’obligation de comparution personnelle est rappelée par l’accord national interprofessionnel.

Telles sont les principales innovations de l’accord du 11 janvier 2008 que l’on devrait retrouver dans la future loi.

L’accord, et la loi qui prendra le relais, constituent indéniablement une remise à jour de dispositions importantes du Droit du Travail.

Il ne s’agit cependant pas de la simplification et de la souplesse légitimement attendues par les Chefs d’Entreprise et promises pendant la campagne électorale.

Notamment, les règles sur le temps de travail ne sont pas (encore) modifiées. Elles restent d’une grande complexité, de même que les procédures de licenciement, notamment économiques.

Il faut cependant signaler le caractère historique de l’accord en ce qu’il est le fruit d’une négociation entre les partenaires sociaux.


Source : Christian DECAUX- Avocat au Barreau de DIJON sur "Village de la justice"


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