lundi 17 mars 2008

Le tribunal de grande instance de Dijon doit se prononcer aujourd’hui sur la demande d'euthanasie de Chantal Sébire





Aux Etats-Unis, en Oregon, cette possibilité existe depuis dix ans.

Ray Carnay avait pris ses dispositions pour mourir. Quand je l’avais rencontré l’an dernier, dans son petit pavillon à Eugene en Oregon, il m’avait montré son texte sur son ordinateur. "Je remercie tous ceux qui sont venus… " Un texte minutieusement écrit qu’il voulait enregistrer sur un CD pour qu’il soit diffusé à ses funérailles. "Ça va être une sacrée cérémonie…"

Dans son petit pavillon, il m’avait expliqué toute son organisation. Il voulait que soient présents un rabbin, parce qu’il est juif, et un pasteur "pour tous mes amis chrétiens"... Ses fils et ses amis seraient là, il les préviendrait quatre jours avant sa mort. Il prendrait alors les médicaments que lui aura prescrits un médecin. "Je tomberai dans le coma et je mourrai en quelques heures."


Un patient sain d'esprit, avec un pronostic vital de moins de six mois

Quand on s’est rencontré, Ray, un veuf de 84 ans, ne pesait plus qu’une cinquantaine de kilos. Un disque passait un enregistrement d’une cérémonie où il avait chanté à Chicago en 1948. Sa voix de baryton avait envahi le salon. Dans son fauteuil, Ray accompagnait l’air en bougeant les lèvres. Aucun son. Un des effets de son cancer de la gorge.

Il avait alors un pronostic vital de moins de six mois, une des conditions pour avoir recours à la loi "mort dans la dignité" de l’Oregon, et pouvoir obtenir d’un médecin une ordonnance pour un cocktail mortel. Le médecin, autre condition, a aussi jugé Ray sain d’esprit, mentalement capable de prendre cette décision.

Votée en 1997, la loi d’Oregon, unique aux Etats-Unis, est entrée en vigueur en 1998. Depuis, elle a permis le décès de plus de 300 habitants de l’état. Près de 500 autres ont demandé les médicaments mais ne les ont pas utilisés.

Beaucoup moins que ce à quoi on s’attendait, d’après George Eighmey de l’association Compassion and Choices qui défend le droit au suicide assisté. "Il n’y a pas eu de morts en masse, comme le prédisaient les adversaires de la loi". Pas plus qu’il n’y a eu de mouvement massif d’immigration de tous les seniors suicidaires du pays.

Et contrairement à ce que les détracteurs annonçaient, la loi n’est pas devenue la solution de ceux qui ne peuvent pas s’offrir de traitements médicaux: parmi les 46 personnes qui y ont eu recours en 2006, un seul n’avait pas de couverture médicale.

"Ce sont les plus indépendants qui prennent les médicaments"

George Eighmey m’avait expliqué qu’il arrivait "assez bien à deviner quels sont ceux qui prendront les médicaments". Cela n’a pas grand-chose à voir avec leur niveau de douleur, selon lui, "ce sont les plus indépendants, ceux à qui l’idée d’avoir perdu le contrôle de sa vie est la plus insupportable". C’est effectivement en ces termes que Ray Carnay parlait du temps qu’il lui restait. "J’ai la possibilité de décider."

Sur le mur de l’escalier de son petit pavillon, il y avait des photos de George et Barbara Bush, les parents du président américain, des bristols d’invitation à des cérémonies républicaines. Si la loi sur le suicide assisté a d’abord été défendue par des démocrates progressistes, ses partisans sont nombreux aussi dans les rangs du parti républicain.

Dans les efforts que mène Compassion and Choices pour faire adopter des lois similaires dans d’autres états, il y a "une forme de droite avec laquelle on peut travailler" note Florent Morellet, un Français qui préside l’antenne new-yorkaise de l’association: c’est la frange libertaire du parti républicain, formée de gens qui ne supportent pas que le gouvernement mette son nez dans les affaires privées, et ne les laisse pas choisir eux-mêmes les conditions de leur mort.

Malgré une opinion publique favorable, aucun autre état n'a imité l'Oregon

L’Oregon est pour le moment le seul état aux Etats-Unis où cette pratique est autorisée, une première que George Eighmey explique par la présence d’une population peu pratiquante en matière de religion et le goût de cet état pour l’expérimentation (c’est là par exemple que fut autorisé en premier le vote par correspondance, tandis qu’une autre loi oblige tous "les détenus à travailler autant que les contribuables").

Malgré une population américaine favorable au droit à mourir, aucun autre état n’a adopté la même loi. Florent Morellet explique ce décalage par la passion qu’inspire le projet de loi chez ses adversaires. "Pour les 25 % de gens qui sont contre, c’est une question qui prime en politique", alors que les trois quarts d’Américains qui y sont favorables ne choisiront pas un candidat politique en fonction de sa position sur le sujet.

En attendant, les associations de défense du "droit à mourir dans la dignité" ont revu leur communication, d’abord en bannissant le mot suicide. Un sondage Gallup indique que 58% des Américains sont favorables au "suicide assisté médicalement". Mais quand on leur pose la question en remplaçant la formule par "l’aide médicale à mourir", le pourcentage passe à 75%.

La loi de l’Oregon s’intitule "la mort dans la dignité", et l’association Compassion and Choices est née de la fusion de deux groupes militants "Compassion in Dying" (la compassion dans la mort) et "End of Life Choices" (les choix de fin de vie). "On a gardé les mots compassion et choix, et enlevé ceux qui dérangeaient", ironise Florent Morellet.

"Ce que je vais faire, c’est bien me suicider", disait Raymond Carnay en mai. L’annonce du journal local indique qu’il est mort le 5 octobre 2007.

Source : Rue89

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