samedi 8 mars 2008

NATIONS UNIES • Les droits de l’homme en échec

La Canadienne Louise Arbour a annoncé qu’elle ne briguait pas un nouveau mandat de haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Son départ est la conséquence des pressions imposées par les pays les moins démocratiques.

Louise Arbour renonce à un second mandat à la tête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Figure marquante de la Genève internationale, cette juriste canadienne de 61 ans doit l’annoncer officiellement aujourd’hui devant le Conseil des droits de l’homme. Mercredi 5 mars, elle en a donné la primeur à son personnel : « Je tenais à vous dire à quel point je suis optimiste quant à l’avenir du Haut-Commissariat. »

Le départ de Louise Arbour, après un mandat de quatre ans, n’est peut-être pas exceptionnel. Ses prédécesseurs n’ont pas duré plus longtemps. Mais il intervient à un moment extrêmement délicat. Le nouveau Conseil des droits de l’homme, créé au printemps 2006, est encore très fragile. Dominé par les Etats du Sud, il est désormais très polarisé. Les pays occidentaux, minoritaires et moins organisés, se contentent d’être réactifs. Quant au haut-commissaire, il fait l’objet d’un tir croisé de critiques. Hier [6 mars], par exemple, lors des débats sur la situation à Gaza, plusieurs pays arabes s’en sont pris à Louise Arbour au motif qu’elle aurait réagi trop tard. Un mauvais procès, quand on sait qu’elle a toujours condamné aussi bien les excès de l’Etat israélien que les tirs de roquettes palestiniens.

Yves Lador, un consultant, va jusqu’à parler de « guérilla de plusieurs Etats peu démocratiques contre le Haut-Commissariat. Ils veulent imposer leur agenda. Ils sont même prêts à contester les experts qui sont invités par le haut-commissaire. Il y a une vraie inquiétude. »


 Certains pays asiatiques et arabes, dont le Sri Lanka et l’Egypte, appellent même à la création d’une commission chargée de contrôler le travail du Haut-Commissariat pour mieux lui rogner les ailes. Leur ambition est de mettre le Haut-Commissariat sous tutelle. 

Institutionnellement, ce plan n’a aucune chance d’aboutir, mais la menace de ces Etats en dit long sur le caractère dérangeant du travail effectué par l’équipe de Louise Arbour. 

Les pays arabes n’ont pas non plus apprécié le fait qu’elle ait salué la Charte arabe des droits de l’homme avant d’émettre des réserves. Les attaques contre la juriste québécoise sont aussi venues des Etats-Unis. Les néoconservateurs ne se sont pas privés de tirer à boulets rouges sur le haut-commissaire, la jugeant plus conciliante « avec les tyrans qu’avec les démocraties ». Ils n’ont jamais avalé le fait qu’elle ait soumis un rapport à la Cour suprême américaine sur la question de la licéité des tribunaux militaires.

En dépit des critiques, Louise Arbour récolte une pluie d’éloges.

Représentant de Human Rights Watch à Genève, Sébastien Gillioz y contribue : 

« C’est une main de fer dans un gant de velours. Elle sait écouter, mais elle sait aussi trancher. Et puis, elle s’est battue pour accroître le budget du Haut-Commissariat (qui a doublé l’an dernier) et pour la présence de son personnel sur le terrain. » 

Elle s’est aussi battue contre le schisme juridique intervenu dans les années 1950 et qui perdure aujourd’hui – celui entre les tenants du Pacte sur les droits civils et politiques, le Nord, et les tenants du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, le Sud.

 Quand après la mort de son prédécesseur Sergio Viera de Mello, elle est arrivée à Genève non sans s’être fait désirer, appelée par l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, elle avait pourtant hérité d’un Haut-Commissariat privé de leadership. Créé en 1993, le Haut-Commissariat a gagné en visibilité grâce à la forte action médiatique de Mary Robinson, en poste entre 1997 et 2001. 

En comparaison, on a reproché à Louise Arbour de ne pas médiatiser suffisamment son combat. Mais, avec la Canadienne, le Haut-Commissariat a gagné en efficacité. 

Le spécialiste de droit international Pierre Hazan confirme : « Comme juriste, elle s’est toujours appuyée sur le droit pour faire valoir ses arguments. C’est beaucoup plus solide que l’approche morale. »

La succession de Louise Arbour ? Elle promet d’être délicate, car le système onusien des droits humains a momentanément besoin de stabilité. Plusieurs noms circulent déjà : le Soudanais Francis Deng, la Pakistanaise Hina Jilani, l’Egyptien Sameh Shoukry, la Kényane Wangari Maathai ou le prince Saïd de Jordanie.

Stéphane Bussard Le Temps

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